LE CONSEIL,

VU l'article 5 b) de la Convention relative à l'Organisation de coopération et de développement économiques, en date du 14 décembre 1960 ;

VU la Recommandation du Conseil sur les principes directeurs relatifs aux aspects économiques des politiques de l'environnement sur le plan international, en date du 26 mai 1972 [C(72)128] ;

VU la Recommandation du Conseil relative à l'utilisation des instruments économiques dans les politiques d'environnement, en date du 31 janvier 1991 [C(90)177/FINAL], qui recommandait entre autres que les pays Membres : i) travaillent à améliorer l'allocation et l'utilisation efficientes des ressources naturelles et environnementales par l'utilisation d'instruments économiques qui permettent de mieux refléter le coût social de l'utilisation de ces ressources et ii) s'efforcent de trouver, sur le plan international, de nouvelles bases d'accord sur l'utilisation des instruments des politiques de l'environnement, en vue de résoudre les problèmes d'environnement régionaux ou globaux et d'assurer un développement durable ;

VU les Actes existants du Conseil qui recommandent l'utilisation des instruments économiques dans différents domaines de l'action des pouvoirs publics en matière d'environnement, à savoir : la Recommandation du Conseil, en date du 28 septembre 1976, concernant une politique globale de gestion des déchets [C(76)155(Final)] ; la Recommandation du Conseil, en date du 5 avril 1978, sur les politiques et instruments de gestion de l'eau [C(78)4(Final)] ; la Recommandation du Conseil, en date du 3 février 1978, concernant le réemploi et le recyclage des récipients de boisson [C(78)8(Final)] ; la Recommandation du Conseil, en date du 3 juillet 1978, sur les politiques de lutte contre le bruit [C(78)73(Final)] ; la Recommandation du Conseil, en date du 20 juin 1985, sur le renforcement des politiques de lutte contre le bruit [C(85)103] ; la Recommandation du Conseil, en date du 31 mars 1989, relative aux politiques de gestion des ressources en eau : intégration, gestion de la demande et protection des eaux souterraines [C(89)12(Final)] ; la Recommandation du Conseil, en date du 23 juillet 1992, sur la gestion intégrée des zones côtières [C(92)114(Final)] ; la Recommandation du Conseil, en date du 20 février 1996, sur l'amélioration des performances environnementales des pouvoirs publics [C(96)39(Final)] ;

VU les objectifs concernant la gestion de la biodiversité énoncés dans la Stratégie de l'environnement pour les dix premières années du XXIème siècle, adoptée par les Ministres de l'environnement des pays Membres de l'OCDE et approuvée par le Conseil de l'OCDE réuni au niveau des Ministres en mai 2001, qui, entre autres, appelle à réduire notablement les menaces qui pèsent sur les écosystèmes et les espèces qu'ils abritent du fait de la destruction ou du morcellement des habitats, de la modification des modes d'utilisation des terres, de la pollution, de l'introduction d'espèces invasives, de la surexploitation ou de la disparition d'espèces sauvages, et considérant que les Ministres de l'environnement des pays Membres de l'OCDE sont convenus, dans cette même Stratégie, que « les pays devraient au besoin faire preuve de précaution lorsqu'il n'existe pas de certitude scientifique » ;

VU les articles 10 et 11 de la Convention sur la diversité biologique, qui appellent les Parties, respectivement, à intégrer « les considérations relatives à la conservation et à l'utilisation durable des ressources biologiques dans le processus décisionnel national… » et à adopter « dans la mesure du possible et selon qu'il conviendra, des mesures économiquement et socialement rationnelles incitant à conserver et à utiliser durablement les éléments constitutifs de la diversité biologique » ;

VU les Décisions IV/10A, V/15, VI/15 (y compris l'annexe 1), et VII/18 de la Conférence des Parties à la Convention sur la diversité biologique, qui évoquent toutes trois les liens entre l'évaluation de la biodiversité et la mise en œuvre de mesures d'incitation appropriées et, entre autres, « …prie[nt] le Secrétaire exécutif de coopérer avec l'OCDE… afin de coordonner les efforts et d'envisager… d'élaborer des propositions concernant la conception et la mise en œuvre des mesures d'incitation visant à assurer la conservation et l'utilisation durable de la diversité biologique… » ;

VU l'objectif du Plan de mise en œuvre adopté au Sommet mondial pour le développement durable (4 septembre 2002) (SMDD/PMO) visant à réduire d'une manière significative, d'ici 2010, le taux de diminution de la biodiversité, et vu le paragraphe 44(a) du SMDD/PMO, qui appelle les pays, entre autres, à « intégrer les objectifs de la Convention [sur la diversité biologique] dans les programmes et politiques sectoriels et intersectoriels, aux niveaux mondial, régional et national, en particulier dans les programmes et politiques des secteurs économiques des pays… » ;

Sur proposition du Comité des politiques d'environnement :

I.            RECOMMANDE que les pays Membres :

(i)         établissent et appliquent un cadre d'action visant à assurer, dans des conditions efficientes, la conservation à long terme et l'utilisation durable de la biodiversité et des ressources qui lui sont associées1. Le but suprême de ce cadre devrait être de permettre de retirer des avantages nets optimaux2 de l'utilisation et de la conservation des ressources procédant de la biodiversité, aussi bien aujourd'hui qu'à l'avenir, et d'assurer un partage de ces avantages équitable et conforme au droit national et, lorsqu'il s'applique, international) ;

(ii)        recourent davantage et de manière plus cohérente aux instruments économiques nationaux3 dans l'application de leur cadre d'action sur la biodiversité, tout en s'efforçant de renforcer la communauté de vues, au plan international, sur l'utilisation des moyens d'action à caractère économique dans les domaines de la conservation et de la gestion de la biodiversité ;

(iii)       intègrent les instruments marchands et non marchands (c'est à dire indépendants des prix) – en tenant compte des avantages des uns et des autres en termes de limitation des coûts d'information et de transaction et du point de vue des valeurs « publiques » de la biodiversité – dans une panoplie de mesures efficace et efficiente ;

(iv)       intègrent les objectifs de l'action publique relative à la biodiversité dans les politiques sectorielles gouvernementales, en veillant au rapport coût efficacité, dans le but d'éviter des effets défavorables injustifiés sur la biodiversité et les ressources associées.

II.           RECOMMANDE que, dans le cadre de la conception et de la mise en œuvre de leurs actions relative à la biodiversité, les pays Membres tiennent compte des considérations indiquées dans l'annexe ci après, qui fait partie intégrante de la présente Recommandation.

III.          CHARGE le Comité des politiques d'environnement et les autres organes concernés de l'Organisation :

(i)         de soutenir les efforts déployés par les pays Membres pour appliquer des approches reposant sur l'incitation dans le but d'atteindre les objectifs de leur action relative à la biodiversité : en étudiant la faisabilité de ces instruments ; en fournissant des orientations appropriées sur leur emploi ; et en échangeant des informations sur la conception ou le choix d'instruments particuliers, y compris sur la réforme des mesures existantes ou proposées qui ont ou auront des effets préjudiciables sur la biodiversité ;

(ii)        de continuer de soutenir les efforts des instances de la Convention sur la diversité biologique destinés à développer l'application efficiente et efficace d'approches de la conservation et de l'utilisation durable de la biodiversité reposant sur l'incitation ;

(iii)       d'examiner les actions entreprises par les pays Membres en application de la présente Recommandation dans les trois ans suivant son adoption ;

(iv)       d'aider les pays non membres à concevoir et à mettre en œuvre des cadres d'action qui contribuent à la réalisation des objectifs de la présente Recommandation dans ces pays.


 

ANNEXE

 

CONSIDÉRATIONS ÉCONOMIQUES DEVANT ÊTRE PRISES EN COMPTE PAR LES PAYS MEMBRES DE L'OCDE POUR FACILITER LA CONSERVATION ET L'EXPLOITATION DURABLE DE LA BIODIVERSITÉ4 5

I.            CADRE D'UTILISATION DES INSTRUMENTS ÉCONOMIQUES DANS LA CONSERVATION ET L'EXPLOITATION DURABLE DE LA BIODIVERSITÉ : PRINCIPAUX ÉLÉMENTS

·                Le but général d'un cadre d'action relatif à la gestion de la biodiversité devrait être de permettre, dans des conditions efficientes, la conservation à long terme et l'exploitation durable de la biodiversité et des ressources qui lui sont associées, ainsi qu'un partage des avantages qui soit équitable et conforme au droit national et, lorsqu'il s'applique, international. Lorsque les cadres d'action relatifs à la biodiversité tiendront compte de toutes les valeurs publiques de celle ci pour la collectivité et des conséquences que son utilisation peut avoir ensuite sur tous les individus concernés (y compris les générations suivantes), l'utilisation des ressources de la biodiversité permettra d'en retirer à long terme des avantages nets optimaux pour la société.

·                Le choix d'instruments particuliers est complexe et doit répondre à des besoins institutionnels, économiques et sociaux donnés. Les options doivent être systématiquement analysées dans l'optique de limiter au minimum les coûts d'administration, de suivi et d'application à la charge de la collectivité, ainsi que les coûts privés de mise en œuvre. Dans la mesure où les instruments fondés sur le jeu du marché présentent souvent un rapport coût efficacité satisfaisant (et où ils sont généralement sous employés), ils devraient être développés. Toutefois, dans de nombreux cas, il sera aussi nécessaire de recourir à des moyens d'action non marchands pour créer une panoplie d'instruments efficace, en vue d'atteindre un niveau efficient à long terme de conservation de la biodiversité et son utilisation durable.

·                Convenablement conçus et mis en œuvre, les instruments économiques seront des éléments importants d'une approche de la gestion durable de la biodiversité reposant sur l'incitation. Les employer nécessitera souvent d'estimer, d'une manière ou d'une autre, la valeur des ressources qui constituent la biodiversité, de manière à pouvoir prendre en compte les aspects non marchands de cette diversité dans les décisions économiques. Cela aidera à fixer les objectifs de l'action des pouvoirs publics au niveau approprié.

·                Les instruments économiques devraient également s'inscrire dans le contexte plus large d'une approche fondée sur le jeu du marché destinée à faciliter la réalisation des objectifs en matière de biodiversité. A ce titre, les actions en faveur de la création de marchés joueront un rôle important dans la mise en place de cadres de gestion de la biodiversité efficients et efficaces. Ces actions consisteront en partie à établir des règles et des procédures afin d'assurer que les marchés soient efficaces et efficients. La mise en place d'accords-cadres sur l'utilisation et les échanges de ressources liées à la biodiversité est un exemple d'initiative dans cette direction.

·                Les politiques sectorielles devraient être conçues de manière à être compatibles avec les objectifs en matière de biodiversité. En général, les études d'impact sur la biodiversité constitueront un élément important de cette recherche de la cohérence des politiques.

·                Il est nécessaire de collaborer avec les autres pays Membres de l'OCDE et avec les non membres pour mettre en œuvre des politiques de gestion de la biodiversité efficientes et durables au niveau international (par exemple, dans le cadre des activités de coopération pour le développement, pour protéger les espèces migratrices et les ressources aquatiques, etc.), dans le contexte des accords internationaux existants relatifs à la biodiversité, en tenant compte des coûts et des avantages particuliers à chaque pays.

·                Il convient d'assortir les politiques relatives à la biodiversité, pour qu'elles soient efficientes et efficaces, d'objectifs et de calendriers appropriés, et les progrès accomplis dans la réalisation des objectifs définis doivent être évalués périodiquement.

II.           INSTRUMENTS DE GESTION DE LA BIODIVERSITÉ REPOSANT SUR L'INCITATION

Les mesures incitatives sont des éléments importants des stratégies de conservation et d'utilisation durable de la biodiversité. Elles s'appuient souvent sur le système de formation des prix et sur les forces du marché pour atteindre les objectifs fixés. De plus :

·                elles reposent sur le principe que les individus réagissent rationnellement aux variations de la relation entre les coûts et les avantages des choix qu'ils opèrent ;

·                elles contribuent à réduire l'écart entre la valeur de la biodiversité pour les individus et sa valeur pour la société dans son ensemble ;

·                elles accroissent les revenus retirés des activités de conservation ou de remise en état des écosystèmes particulièrement importants pour la biodiversité ;

·                elles majorent les coûts des activités qui portent atteinte aux écosystèmes particulièrement importants pour la biodiversité (autrement dit, elles diminuent les revenus qui en sont retirés) ;

·                elles soumettent à des conditions identiques les revenus de la dégradation de la biodiversité (c'est-à-dire de son exploitation, généralement observables) et les revenus de sa conservation et de son amélioration/restauration (c'est-à-dire de sa non exploitation, généralement non observables).

L'utilisation des instruments économiques dans le cadre de la protection de la biodiversité se fonde sur l'hypothèse selon laquelle les coûts (ou les avantages) sociaux de l'utilisation, de la dégradation et de la restauration de la biodiversité peuvent être internalisés dans le prix des activités qui provoquent des pertes (ou des gains) de biodiversité.

Les problèmes de gestion de la biodiversité se manifestent sous différentes formes selon les écosystèmes et les collectivités. Les concepteurs des mesures d'incitation doivent donc avoir à l'esprit les besoins particuliers des écosystèmes et des collectivités concernés. Pour déterminer s'il convient de préférer les incitations à d'autres mesures, il faut se demander lesquelles sont susceptibles d'être les plus efficientes et les plus efficaces.

Les éléments qui jouent un rôle particulièrement important dans la réussite de la mise en œuvre des mesures incitatives dans le cadre des politiques relatives à la biodiversité sont les suivants (dans les pays Membres de l'OCDE comme dans les pays non membres) :

·         Réunir des informations de qualité sur les ressources liées à la biodiversité, y compris sur leur état, les pressions auxquelles elles sont exposées et les chances de réussite des différentes mesures incitatives au cas où celles-ci seraient appliquées à une situation donnée ;

·         Créer des capacités de conception, de mise en œuvre, de suivi et d'application de mesures d'incitation données dans des contextes particuliers de gestion de la biodiversité ;

·         Faire participer les populations autochtones et locales et les parties prenantes à la conception et à la mise en œuvre des mesures incitatives.

La mise en œuvre des mesures d'incitation à la conservation et à la gestion durable de la biodiversité comprend, entre autres, les phases suivantes :

·         Définir les causes du problème et procéder à l'évaluation préliminaire du rôle que peuvent jouer les mesures incitatives : la collecte de données, l'évaluation préalable de la nécessité d'adopter des mesures incitatives et de leur utilité potentielle, et la mobilisation des acteurs intéressés contribuent toutes trois au déroulement de cette étape ;

·         Concevoir la mesure incitative : évaluer les options envisageables sur la base de l'efficience, de l'efficacité, de l'équilibre entre les avantages et les coûts, de l'acceptabilité politique et de la prédictibilité de l'impact probable de la mesure ;

·         Recueillir l'adhésion politique et créer une capacité institutionnelle : cela passe notamment par la prise en compte explicite de la panoplie de moyens d'action (existante) dans laquelle s'insérera la mesure d'incitation, par la formation du personnel, par la communication, par l'examen des mesures complémentaires qui pourraient être nécessaires et par l'établissement de liens appropriés avec les acteurs du secteur privé ;

·         Assurer la gestion, le suivi et l'application de la mesure : il importe d'affecter des fonds adéquats à la réalisation de chacune de ces étapes, mais aussi de revoir la conception de la mesure au fil du temps, de manière à prendre en considération l'évolution de la situation.

Mesures incitatives

La palette des mesures économiques (et de soutien du marché) auxquelles les pouvoirs publics peuvent recourir pour encourager la conservation de la biodiversité et son utilisation durable comprend :

Des incitations économiques

                Droits, redevances et taxes d'environnement ;

                Paiements au titre de la fourniture de services liés aux écosystèmes ;

                Attributions de droits de propriété clairement définis ;

                Réforme ou suppression des subventions dommageables.

Des fonds

                Fonds pour l'environnement et financements publics.

Un cadre incitatif

                Diffusion d'informations, mise en place de capacités scientifiques et techniques ;

                Estimation de la valeur économique ;

                Création de marchés ;

                Augmentation de la capacité des institutions et mobilisation des acteurs intéressés.

Quelques exemples de mesures économiques, entre autres :

·                redevances ou taxes de non-conformité dans certains types d'activités forestières ;

·                taxes de responsabilité dont les recettes servent à la protection ou à la remise en état des zones naturelles fragiles ;

·                droits ou taxes sur les permis de pêche (ayant pour objectif la gestion des ressources) ;

·                redevances de prélèvement dans les eaux souterraines ou les eaux de surface ;

·                soutien aux labels en rapport avec la biodiversité ;

·                indemnisation en cas de dommages causés à la biodiversité (y compris provisoires) ;

·                redevances :

                d'utilisation du domaine public pour le pacage, en agriculture ;

                d'utilisation des zones fragiles ;

                sur la chasse ou la pêche visant des espèces menacées ;

                sur les activités touristiques dans les parcs naturels.

·                paiements aux agriculteurs d'un bassin hydrographique qui utilisent des techniques agricoles préservant la qualité des ressources en eau.

Combinaisons d'instruments

Pour atteindre les objectifs de l'action en faveur de la biodiversité, les instruments économiques devront souvent être utilisés parallèlement à des instruments non économiques (normes, réglementations, restrictions d'accès, plans de gestion, etc.). Les éléments économiques et non économiques de ces « panoplies » de mesures doivent être conçus et mis en œuvre de manière à ce qu'ils se complètent mutuellement.

Réforme ou suppression des incitations ayant des effets pervers

Les aides économiques fournies par les pouvoirs publics peuvent être de différents types : paiements directs, exonérations ou réductions de taxes, incitations financières en faveur de l'utilisation des intrants ou des équipements jugés les plus adaptés, soutien des prix du marché, garantie de crédit, aide technique, utilisation gratuite des infrastructures, etc. Lorsqu'ils visent des objectifs économiques ou sociaux généraux, ces instruments peuvent parfois avoir des effets préjudiciables à la biodiversité et aux ressources qui lui sont associées, même si leur but initial est sans aucun rapport avec ces dernières.

La réforme de ces mesures, dans l'optique de supprimer leurs effets préjudiciables, devrait être un objectif permanent. Lorsque cette réforme se traduit par une réduction du soutien apporté, elle a pour avantage non seulement de limiter la diminution de la biodiversité, mais aussi d'améliorer la situation des finances publiques (dans les cas où les aides sont financées au départ par les budgets publics). De plus, toute nouvelle mesure de soutien économique devrait être soumise au préalable à une évaluation de sa contribution potentielle au bien être de la société (prenant en compte ses éventuels effets préjudiciables à la biodiversité). Elle devrait aussi faire l'objet d'une évaluation a posteriori, pour s'assurer que cette contribution ne diminue pas au fil du temps.

Les réformes des incitations perverses ayant une incidence sur la biodiversité peuvent être difficiles à mettre en œuvre, car elles risquent d'entraîner une diminution de la richesse de certains des bénéficiaires (bien que d'autres acteurs puissent y gagner). Toutefois, dans de nombreux cas, il est possible de concevoir des mesures de remplacement qui permettent d'atteindre les objectifs économiques et sociaux des programmes de soutien initiaux, mais qui n'ont pas les mêmes répercussions négatives sur la biodiversité.

Il ne faut cependant pas perdre de vue que tous les programmes de soutien n'exercent pas une pression négative sur les ressources de la biodiversité : certains ont pour effet d'améliorer les perspectives de conservation et d'utilisation durable de cette dernière. Ces programmes peuvent malgré tout nécessiter des modifications périodiques si les coûts économiques qui leur sont imputables sont supérieurs aux valeurs publiques associées aux ressources de la biodiversité (désormais protégées).

Deux des éléments du cadre incitatif répertoriés plus haut sont particulièrement importants pour les mesures d'incitation, à savoir l'estimation de la valeur économique de la biodiversité et la création de marchés. Ils font l'objet d'une description plus détaillée dans les sections suivantes.

III.          ÉVALUER LA BIODIVERSITÉ

Les incitations mises en place pour atteindre des objectifs donnés en matière de biodiversité visent, directement ou indirectement, à amener les prix du marché à un niveau reflétant l'internalisation complète des valeurs des biens et services offerts par la biodiversité dans les décisions de gestion.

Bien souvent, les politiques visant à internaliser directement les incidences sur la biodiversité ne sont pas applicables (les décisions relatives à l'utilisation des ressources ne peuvent pas tenir compte de ces incidences en créant des marchés spécifiquement destinés à y répondre). Dans ce cas, les pouvoirs publics pourraient être appelés à prendre des mesures plus indirectes (fondées ou non sur les mécanismes de marché) du type taxes, redevances, réglementations etc. Les taxes, par exemple, sont des instruments « indirects » car elles ne peuvent refléter qu'approximativement la perte collective associée à l'érosion de la biodiversité. En d'autres termes, elles supposent des décideurs qu'ils estiment la perte collective (qui ne peut être observée sur le marché) puis imputent ce coût estimé aux utilisateurs de ressources liées à la biodiversité.

Pour obtenir cette information, il importera d'établir un système de mesure des coûts additionnels de l'utilisation de ressources liées à la biodiversité, afin de calibrer correctement l'instrument considéré (par exemple, déterminer le niveau socialement optimum d'une taxe). Une évaluation économique peut se révéler utile dans ce cadre en fournissant une mesure monétaire des incidences attendues.

Les décideurs auront besoin, en plus de ce calcul économique, d'informations relatives à des critères non économiques (choix éthiques, valeurs esthétiques, culturelles et spirituelles, par exemple). Plusieurs techniques existent pour décrire ces critères de façon à ce qu'ils puissent éclairer la prise de décisions (analyse multicritères, groupes de consultation, etc.). Des éléments économiques et non économiques interviendront ainsi dans la plupart des décisions relatives à la biodiversité.

En principe, les techniques d'évaluation économiques ne doivent être utilisées qu'à partir du moment où les améliorations progressives prévues (y compris à long terme) justifient le coût de l'évaluation elle-même (le critère coût/avantages doit être appliqué pour déterminer l'opportunité de l'évaluation). La suite de la présente section concerne essentiellement l'évaluation économique.

L'étude de la valeur économique de la biodiversité dans un contexte donné doit comprendre un examen de toutes les valeurs d'usage et de non-usage. Parmi les valeurs d'usage, citons les services fournis par les écosystèmes. Les valeurs de non-usage comprennent la valeur d'option, la valeur d'existence et la valeur patrimoniale.

L'évaluation des biens et services marchands (privés) fournis par les ressources procédant de la biodiversité (en vue de leur complète internalisation) est par essence plus facile que celle des biens et services non marchands (publics). Néanmoins, il existe des méthodologies acceptables pour de nombreux biens et services, marchands et non marchands, et elles devraient être appliquées en tant que de besoin. L'emploi de méthodes plus spécifiques (descriptives, par exemple) peut parfois convenir également.

Beaucoup de valeurs de la biodiversité participent d'intérêts publics ; d'autres mettent en jeu également des intérêts privés à un degré suffisant pour que les marchés privés puissent déterminer eux mêmes la valeur approximative de la meilleure utilisation sociale des ressources liées à la biodiversité. Ces deux constatations doivent servir de point de départ à l'examen des rôles respectifs des pouvoirs publics et du secteur privé dans la gestion des ressources procédant de la biodiversité.

Bien que le débat autour de l'applicabilité de techniques économiques pour évaluer des ressources environnementales (non commercialisées) soit toujours d'actualité, l'utilisation de ces techniques aux fins de la gestion de la biodiversité se développe. Cette tendance s'explique principalement par les progrès des méthodes théoriques qui permettent désormais de tenir compte d'aspects plus généraux des ressources environnementales qui intéressent les décideurs.

Toutefois, l'écart reste grand entre les évaluations extrêmement fines requises par les pouvoirs publics pour éclairer leurs décisions, et les possibilités offertes par les techniques d'évaluation disponibles. En conséquence, si les techniques d'évaluation continuent d'apporter des éléments précieux pour la prise de décisions, d'autres approches devront souvent être prises en compte pour parvenir à une décision finale.

Diverses méthodes d'évaluation quantitatives peuvent être utilisées pour élaborer et mettre en oeuvre les politiques relatives à la biodiversité. Les plus communément rencontrées sont les suivantes :

Méthode fondée sur les prix du marché :

                valeur basée sur la valeur marchande observée des biens et services liés à la biodiversité, la modification de la productivité des ressources liées à la biodiversité et les considérations de coûts (coûts de remplacement; coûts de restauration ou valeur des dépenses préventives).

Méthode de la préférence révélée :

                valeur basée sur les modifications des prix du marché qui résultent de la modification de biens non marchands (liés à la biodiversité) (méthode des coûts de déplacement, modèle de l'usage ludique, modèle hédoniste).

Méthode de la préférence déclarée :

                valeur basée sur les estimations du « consentement à payer » déclaré pour conserver et restaurer la biodiversité (méthode d'évaluation contingente).

Méthode du transfert d'avantages :

                établissement de valeurs très précises dans un contexte donné, qui sont ensuite ajustées pour être transférées dans d'autres contextes (similaires).

IV.          CRÉATION DE MARCHES DANS LE CADRE DE LA GESTION DE LA BIODIVERSITÉ

Tout comme les incitations faisant appel aux mécanismes de marché permettent de réduire les pressions intempestives sur les ressources liées à la biodiversité, l'exploitation plus large des marchés peut aussi améliorer la gestion de la biodiversité. La création de marchés signifie l'élimination des barrières commerciales, notamment l'établissement et l'attribution de droits de propriété et/ou d'utilisation stables et clairement définis6. La création de marchés part de l'hypothèse que les détenteurs de droits de propriété optimiseront la valeur de leurs ressources au fil du temps et ce faisant, optimiseront également le niveau et le coût de l'utilisation, de la conservation et de la restauration de la biodiversité. En bref, la création de marchés fait jouer des mécanismes qui vont plus loin que le recours aux incitations par le marché.

Les pouvoirs publics ont deux rôles importants à jouer pour favoriser la création de marchés des ressources procédant de la biodiversité. Premièrement, ils doivent mettre en place un cadre approprié dans lequel les opérateurs privés et publics pourront assurer efficacement la fourniture de ressources procédant de la biodiversité aux utilisateurs. Ce rôle a été examiné précédemment (section II). Deuxièmement, ils doivent faire en sorte que les biens publics liés à la biodiversité soient fournis de la manière la plus efficace et efficiente possible. La création de marchés passe par la mise en place des cadres juridiques ou incitations nécessaires pour éviter certaines caractéristiques telles que la non-excluabilité et/ou la non-rivalité, qui peuvent toutes deux rendre un bien public impropre à la commercialisation, mêmes si certaines personnes sont prêtes à payer pour en bénéficier.

Les mécanismes de marché, réguleront l'utilisation ou la conservation des ressources liées à la biodiversité si le marché parvient à tenir compte des différentes valeurs (y compris publiques) de ces ressources pour la société (et également si toutes les conséquences non marchandes de leur utilisation sont pleinement prises en compte dans les décisions de gestion). La création de marchés de la biodiversité couronne donc les efforts déployés pour mettre au point des cadres et instruments capables de prendre en compte les valeurs publiques. L'apparition de parcs privés dans de nombreuses régions du monde montre que les marchés privés sont capables d'intégrer des valeurs publiques. Dans le cas de ces parcs, la valeur privée de leur spécificité est suffisante pour qu'ils visent des objectifs publics de conservation de la biodiversité. Cependant, la valeur publique de ces parcs sera généralement plus élevée que les valeurs privées. Les instruments économiques capables de rendre compte de ces valeurs publiques peuvent améliorer les performances en matière de biodiversité en étendant l'application des marchés.

Il existe déjà plusieurs marchés faisant intervenir des activités respectueuses de la biodiversité, notamment : l'agriculture biologique, la foresterie durable, les produits forestiers autres que le bois, les ressources génétiques et l'écotourisme. On peut aussi citer deux exemples très positifs de création de marchés intéressant la gestion des ressources liées à la biodiversité, où ce sont les instruments qui ont créé le marché et où le lien avec la politique économique est clair :

·                Droits de pêche négociables – Des droits de propriété peuvent être dans certains cas attribués sur les captures d'espèces commerciales de poissons sous forme de quotas individuels transférables. Des marchés se créent autour de ces quotas qui peuvent être transférés d'un pêcheur à l'autre et dont la valeur est liée aux revenus qu'ils peuvent procurer au pêcheur. Afin de maintenir cette valeur dans le temps, les détenteurs de droits auront tendance à protéger la ressource naturelle qui les sous-tend (c'est-à-dire les stocks de poisson et la biodiversité associée à ces stocks).

·                Les droits d'aménagement transférables (DAT) – Les DAT correspondent à un transfert partiel de droits d'utilisation des terres, ce transfert étant destiné, dans le cadre de la gestion de la biodiversité, à restreindre les activités sur les terres privées écologiquement fragiles. Il peut s'agir de limiter les aménagements, en appliquant le cas échéant des clauses obligatoires ou des plans de gestion des terres conformes aux objectifs de gestion de la biodiversité. Les avantages en termes de biodiversité découlent des restrictions imposées et les gains d'efficience, du fait que les droits d'aménagement limités sont exercés de la façon la plus économique.

Les marchés devront cependant être contrôlés et même guidés pour assurer qu'ils produisent des avantages nets pour l'ensemble de la société. Par exemple, le commerce (illégal) de produits issus d'espèces en danger montre les effets négatifs que peuvent avoir les marchés qui ne tiennent pas compte des valeurs publiques et des externalités.

L'absence d'informations adéquates peut entraver le développement et la mise en oeuvre des méthodes de conservation, d'utilisation ou de restauration de la biodiversité fondées sur le marché. Ces informations peuvent être fournies par différents mécanismes : étiquetage, certification, information directe, mise en place de capacités techniques, etc. L'information est une condition importante dont dépend l'efficience et l'efficacité des mesures incitatives, et apparaît en conséquence indispensable à la création de marchés. Les données scientifiques jouent un rôle important dans cette fonction d'information, c'est pourquoi les pouvoirs publics doivent prendre des mesures pour créer des conditions propices à l'émergence de nouveaux savoirs dans le domaine de la conservation de la biodiversité. Il importe également de tirer pleinement parti des informations conservées actuellement dans les bases de données pour atteindre les objectifs de conservation et de gestion de la biodiversité. Dans ce cadre, il pourrait aussi être utile de mettre au point des indicateurs permettant de suivre l'évolution de la biodiversité (tendances et orientations), que l'on pourra utiliser pour évaluer les performances des politiques et revoir les politiques existantes.

L'engagement actif des parties intéressées dans l'élaboration et la mise en oeuvre des politiques de gestion de la biodiversité est aussi une condition importante dont dépendra la réussite des politiques de création de marchés. Il importe donc de prendre les dispositions institutionnelles nécessaires pour assurer le niveau d'engagement adéquat des parties intéressées dans les décisions clés affectant les ressources liées à la biodiversité. Les réseaux de communautés locales qui déterminent et appuient la réalisation des objectifs locaux en matière de biodiversité peuvent apporter une contribution utile à cet égard. Tout comme l'information, l'engagement dés le début des acteurs intéressés joue un rôle important dans le processus de création de marchés.

Les fonds dédiés à la gestion de la biodiversité peuvent mettre à profit la croissance de l'épargne mondiale en quête d'investissements « respectueux de l'environnement ». Ils entrent dans le cadre du développement de nouveaux mécanismes financiers et approches de financement « verts ». Les fonds de capital-risque verts en faveur des start-up spécialisées dans l'environnement, les fonds communs de placement qui investissent dans les entreprises dotées d'une charte « verte », les fonds éthiques et la participation de banques locales au financement de projets d'utilisation durable des ressources en sont des exemples. Les politiques destinées à renforcer le rôle des marchés financiers en faveur de l'utilisation durable de la biodiversité encouragent le développement (et créent) des marchés en permettant à ces fonds de trouver plus facilement les utilisations les plus profitables.

L'utilisation des marchés des capitaux pour allouer ces fonds dédiés à la biodiversité améliore l'efficience et l'efficacité générale du processus de gestion. Grâce aux connaissances spécialisées dont disposent les branches locales des marchés locaux et à la couverture nationale et internationale de certaines institutions financières, l'épargne formée dans une région peut passer dans une autre où elle sera d'une plus grande utilité, contribuant ainsi à la création de marchés de la biodiversité. Le recours aux marchés des capitaux permettra en outre d'avoir raison des contraintes financières locales (qui risquent d'être particulièrement aiguës dans les pays non membres).



1                  Lorsqu'il se justifie, le rétablissement des ressources associées à la biodiversité dégradées est également tout à fait conforme aux objectifs de la présente Recommandation.

2                  Le terme avantages nets optimaux s'entend ici sous l'angle du bien-être (bien-être environnemental, économique et social).

3                  Instruments économiques s'entend ici au sens large et désigne tous les instruments qui modifient les incitations amenant les individus à entreprendre certaines actions.

4                  Les considérations énoncées dans la présente annexe s'appuient sur les examens consacrés à l'expérience des pays Membres en matière d'approches économiques de la gestion de la biodiversité, ainsi que sur plusieurs cadres de gestion de la biodiversité définis par le Sous groupe sur les aspects économiques de la biodiversité (SGAEB). Des précisions complémentaires sont fournies dans les publications de ce sous groupe, notamment dans les suivantes : OCDE (1999), Manuel de protection de la biodiversité – Conception et mise en œuvre des mesures incitatives ; OCDE (2002), Manuel d'évaluation de la biodiversité – Guide à l'intention des décideurs ; OCDE (2003), Mobiliser les marchés au service de la biodiversité – Pour une politique de conservation et d'exploitation durable ; OCDE (à paraître), Manuel pour la création de marchés de la biodiversité (titre provisoire).

5                  Les travaux du SGAEB sur lesquels s'appuie la présente Recommandation sont aussi amplement cités dans la Décision VI/15 (annexe 1) de la Conférence des Parties à la CDB.

6                  Les droits de propriété comprennent ici les droits même limités, notamment les « servitudes » qui restreignent l'utilisation de la propriété immobilière.